Mon premier gourou, Thuksey Rinpoché, Ngawang Gyurmed Pelsang, naquit en 1916, en tant que fils du 10e Gyalwang Drukpa et le petit fils du Mahasiddha Shakya Shri. Thuksey Rinpoché en tibétain signifie en fait, « Le Précieux Fils de Cœur », en ce sens que « Fils » ne stipule pas seulement l’essence biologique du grand éveil mais aussi la sagesse de sa propre nature. Nombreux maîtres saints, et spécialement le Treizième Dalaï Lama, affirmèrent que ce petit enfant était vraiment l’incarnation de la Parole de Takloung Ma Rinpoché, le Chef de l’École Takloung Kagyud. Cependant, son père, le 10e Gyalwang Drukpa, refusa de donner son fils à l’école Takloung parce qu’intuitivement il savait que son fils deviendrait le gardien et bienfaiteur des enseignements du Bouddha pour le monde entier, et plus particulièrement pour les enseignements de la lignée Drukpa quand elle serait amenée à souffrir sous la révolution qui prendrait place dans le futur. Au lieu de cela, il fut confié à Nawang Tendzin Pelzang, le 7e Zigar Choktrul Rinpoché, pour être adopté quand il fut un peu plus qu’un enfant. Il résida pour la plupart de ses jeunes années à Zigar Gompa au Tibet oriental.    

Ayant été formé et éduqué sous la direction de son propre père et de nombreux autres grands lamas, tels que Zigar Choktrul Rinpoché, qui était celui qu’il appelait « le principal refuge », l’incluait aussi parmi ses enseignants son gourou du Mahamoudra, Tripön Péma Chogyal, Drukpa Yongdzin Rinpoché, Tokden Pagsam Gyatso, Thouchen Chogön Rinpoché et Lopeun Sönam Zangpo. Mon gourou, le 1er Thuksey Rinpoché, était très sérieux et discipliné dans sa pratique pendant ses jeunes années. Il disait que durant son époque à Zigar Gompa, après avoir reçu toutes les transmissions yogiques des bénédictions et enseignements de son principal maître spirituel, le grand Bouddha vivant Tripön Péma Chogyal au Tibet central, il ne passa pas un jour sans manquer d’accomplir les quatre sessions de pratique de yoga, même quand il était très occupé avec des activités comme établir l’Institut d’éducation pour les études supérieures ou la discipline de la communauté monastique. Aussi, il me montra combien il était important pour lui de demeurer dans l’état de méditation de la conscience dans le flot des précieuses instructions de son Gourou tout au long du jour et de la nuit. Placée au sommet de la grande vue du Mahamoudra, je pense que sa pratique principale était les Six Yogas de Naropa, bien que vous ne pouvez jamais être sûr de ce que sont les pratiques de ces maîtres saints, parce que les pratiques authentiques sont censées être humbles et pratiquées secrètement. Ce n’est pas comme beaucoup d’entre nous qui sommes toujours affairés à parler de nos pratiques, de ce que nous avons fait par le passé et de ce que nous planifions pour le futur. Il m’a été rapporté par de nombreux moines de Zigar Gompa que la plupart de sa vie fut passée en retraite continuelle pratiquant sans besoin de sommeil et des autres choses que nous faisons habituellement pour tuer notre temps précieux. Je l’ai entendu dire une fois qu’il pouvait voir clairement l’os blanc de sa jambe là où les deux jambes se touchaient dans la continuelle posture vajra. Néanmoins, il n’élabora pas davantage, aussi je suppose qu’il avait dû passer tout son temps en méditation, pas seulement l’état de l’esprit, mais aussi physiquement aussi. Il portait un châle de coton fin toute l’année, même en hiver quand la température descendait à moins 10°, ou encore plus bas. Il ne pensa jamais à rendre son ermitage plus chaud ou à porter plus de vêtements. Tout le monde pouvait constater que dans un périmètre d’environ deux mètres autour de l’ermitage où il demeurait, ni la neige ni l’eau ne pouvait se transformer en glace, du tout. Certaines personnes disaient même qu’ils ont vu des fleurs et des plantes vertes pousser là naturellement à la place. Ceci est en fait un signe spontané d’un certain type de grand accomplissement tantrique. Bien qu’il aurait aimé consacrer le reste de sa vie en retraite solitaire, il fut persuadé par ses étudiants de quitter cette retraite externe et de venir dans le monde enseigner et faire du bien aux êtres qui en avaient cruellement besoin. De plus, il y avait une instabilité politique et le danger d’attaque contre ces maîtres et monastères au Tibet à la fin des années 50. En conséquence, il fut obligé de quitter sa retraite et de descendre en Inde avec le 11e Gyalwang Drukpa, Guélèk Wangpo, avec plusieurs autres saints maîtres et attendants. 

Mon gourou m’a dit : « Quand j’atteignis Drukgar, le siège principal de Gyalwang Drukpa, sur mon chemin vers l’Inde, la situation politique était très tendue et de nombreux maîtres étaient arrêtés chaque jour dans chaque coin de la région. Cependant, étonnamment, notre Yizhin Norbou le 11e Gyalwang Drukpa, ne quitta pas sa retraite stricte, comme s’il ne savait pas ce qui se passait à l’extérieur de la cloture de sa retraite. Personne n’osa lui demander de partir, mais tout le monde s’apprêtait jour et nuit à partir. Certains, au tempérament sec et égoïste, étaient déjà partis sans souci de considération de servir ou de protèger Yishin Norbou, qui était aussi leur gourou. En dehors de ces personnes infâmes, le grand yogui et maître réalisé, Apho Rinpoché, et moi-même, et ceux qui étaient des pratiquants authentiques et fidèles qui attendaient désespérément que Yishin Norbou fasse le premier geste, parce que nous ne pouvions pas envisager de le laisser derrière et de partir. Finalement, Apo Rinpoché put faire en sorte d’entrer dans la retraite de Yizhin Norbou et de lui faire la requète de partir pour le bien de tous. Yizhin Norbou dit, « Je n’ai aucun désir de partir quelque part ou de faire quoi que ce soit d’autre que de continuer à pratiquer jusqu’à la fin de ma vie qui je pense n’est plus très loin maintenant. Néanmoins, que chacun d’entre vous se dépêche et parte en Inde pour fuir les tragédies de la guerre. » Cependant, Apho Rinpoché ne renonça pas jusqu’à ce que Yizhin Norbou accepte de venir avec nous. Apparemment, il accepta et ne dit rien si ce n’est « Okay, allons y », et il se leva de son coussin de méditation et sans hésitation marcha tout droit sans attachment à ses propres biens. Il avait un petit sac à dos avec lui pour son crayon et ses papiers avec lesquels, je suppose, il écrivait des poèmes. » Tout cela me fut ainsi rapporté par mon gourou. Ces événements, je suppose, se déroulèrent en 1959. 

Lama Wangdor, qui est maintenant un maître véritable de méditation et efficace à aider autrui par ses moyens de directe instruction, fut l’un de ceux qui servirent mon gourou immensément sur leur difficile voyage. Lama Wangdor est un grand exemple de pratiquant authentique ayant dévotion et réalisation. Les gens ordinaires, même jeunes n’ayant rien sur leur dos, eurent grande difficulté à traverser certains ponts constitués d’un simple tronc d’arbre, à une hauteur d’une dizaine de mètres. Si quelqu’un tombait, il n’avait guère d’espoir de rester en vie. Beaucoup moururent en chemin avec toutes sortes de difficultés, mais Lama porta mon gourou sur son dos tout le chemin vers l’Inde avec un cœur pur. Le corps physique de mon gourou n’est pas d’une petite taille, plus grand que Lama lui-même, environ 1m80. Lama m’a dit récemment que ce fut l’un de ces grands accomplissements en cette vie d’être capable de servir son gourou de cette façon. Il fut celui qui nous donna le privilège que notre gourou demeure avec nous. De plus, en raison des efforts compassionnés de ces maîtres, non seulement Thuksey Rinpoché et eux se rendirent accessibles pour nous, mais ils purent aussi apporter du Tibet certaines des précieuses reliques et des objets des rituels de la lignée Drukpa comme les Six Ornements de Naropa. Finalement, ils trouvèrent asile dans un camp de réfugiés appelé Buxa dans le Bengale occidental, où le 11e Gyalwang Drukpa quitta son corps l’année suivante à l’âge de 29 ans. Après quoi, mon gourou se vit confié le devoir de rétablir l’ordre Drukpa comme des réfugiés au milieu de nulle part, et de rechercher la réincarnation du 11e Drukpa. La somme d’efforts qu’il fournit à reconstruire, pas seulement les constructions extérieures mais les constructions internes de la discipline des individus, est quelque chose au-delà de l’imagination. Si quelqu’un n’a pas cette base de profonde compassion, il ne pourra jamais être capable de mener à bien ce genre de responsabilité. 

Après la découverte et l’intronisation du 12e Gyalwang Drukpa – c’est moi ! – comme la réincarnation de son père, gourou, ou quelle que soit la façon compliquée dont vous voulez le dire, mon gourou consacra le restant de sa vie à me nourrir et à prendre soin de moi, pas seulement du point de vue spirituel, mais aussi en ce qui concerne une administration agréable et une bienfaisance méticuleuse dans les réalisations mondaines. Au début des années 1970, il batit notre temple actuel, ainsi que l’aile orientale de notre monastère. Avant cela, il nourrit beaucoup de gens pauvres et les moines en les nourissant, les éduquant, et les hébergeant pour de nombreuses années. Quand le monastère était en construction, ces moines à ce moment-là servirent mon gourou en effectuant infatigablement un travail éreintant durant la période de construction, qui dura plus de dix ans. Je suis très fier d’eux, qu’ils aient pu être à même de servir leur gourou inconditionnellement, presque à la manière dont Milarepa le fit. En dehors de ces moines, nous n’avons pas eu beaucoup de soutien humain. Notre vrai support vint de sources non-humaines. Quand nous avions besoin des matériaux de constructions, ils apparurent miraculeusement. Les pierres arrivèrent près du monastère quand la foudre frappa la montagne et provoqua une avalanche. Nous avons eu seulement à les ramasser. Nous jouâmes un bon tour au gouvernement local par la même occasion ! De la même façon, le sable fut fourni facilement. L’eau apparut des sources naturelles et la pluie quand nous en avions besoin, et jusqu’à ce jour nous avons aussi de l’eau qui s’écoule d’une source perpétuelle. Je sais que ces choses advinrent de son pouvoir divin. Donc je dirais que nous avons eu davantage d’aide de nos protecteurs et des êtres divins que des êtres humains mondains locaux pour la construction du monastère Druk Sanga Choeling. De nos jours, les gens l’appellent Dali Gonpa, dont le nom dérive du nom du lieu où le monastère est situé. En dehors des enseignements et des activités divines en Inde et dans la région Himalaya, mon gourou visita l’Europe et établit trois centres Drukpa en France en 1981. 

Après avoir sauvé et préservé à la fois moi et ma lignée durant ces années de transition cruciale, le 18 mars 1983, mon gourou me laissa temporairement et nous tous seul au monde pour continuer notre devoir à servir les êtres. Quoique cela soit très triste et une grande perte pour ce monde, je le pris comme un dernier enseignement silencieux. Son amour et ses bénédictions sont toujours avec nous et toutes mes activités sont entièrement des manifestations bénies de Thuksey Rinpoché, qui illuminent de façon permanente les rayons du Dharmakaya. Les rayons du Dharmakaya ou l’une de ses formes du nirmanakaya sous apparence humaine est encore revenue rapidement pour nous aider tous et continuer les activités compassionnées pour le bien de tous les êtres. Le Bouddha dit : « La compassion d’un grand maître ne cessera jamais jusqu’à la fin de l’univers entier. »  C’est vraiment une chose étonnante d’apprendre ces secrets des maîtres compassionnés.